

« En un mot, mon défi aujourd’hui : développer. Mes collaborateurs, mes clients, et ensuite l’exploitation. »

D’entrée de jeu, Florian annonce la couleur. Directeur général de la Drawing House et de la Drawing Hotels Collection, il incarne une nouvelle génération d’hôteliers : pragmatique, curieux, et surtout animé par le goût de construire.
Pour ce nouvel épisode, on se retrouve à 2 minutes de la gare Montparnasse, au 21 Rue Vercingétorix dans le 14ème. C’est un lieu hybride animé, où l’art contemporain dialogue avec l’hôtellerie.

Ouverte en 2022, la Drawing House est née dans l’urgence. « Carine a récupéré cet établissement trois mois avant son ouverture. Elle a dû amener un concept extrêmement rapidement. »
Carine, c’est Carine Tissot, présidente fondatrice du salon Drawing Now – première foire d'art contemporain en Europe dédiée au dessin. En 2017, elle ouvre un premier hôtel dédié à cet univers. En 2022, elle récidive avec la Drawing House : « Ça ne veut pas dire mettre de la déco au mur. Ça veut dire créer des espaces sur mesure avec les artistes. »
Le tout s'intègre dans la Drawing Society qui combine donc Art et Hôtellerie.
A la Drawing House, au rez-de-chaussée, le visiteur découvre le Drawing Hall, un centre d’art où les œuvres évoluent sous ses yeux. « Aujourd’hui, Jacques Merle est en train de peindre une pièce de 150 m². Tous les jours je descends, et tous les jours l’œuvre a changé. C’est fascinant. »
Dans les chambres, jusque dans la moquette ou la tête de lit, le dessin est partout. « Tu retires l’art, tu obtiens un hôtel très généraliste. Avec l’art, on crée un univers. »

Rares sont les hôtels qui s’autorisent à grandir par étapes. La Drawing House, elle, s’est construite par couches successives :
« On a toujours travaillé en évolutif. On apprend avec le marché, on écoute les clients, et on adapte l’offre. C’est comme construire un hôtel en Lego.
Ce choix, né de la contrainte initiale, s’est transformé en méthode : « C’est une flexibilité qui fait le succès. Chaque brique ajoute de la valeur. »

Là où d’autres parlent de RevPAR, Florian préfère parler de surfaces :
« Le RevPAR, je n’ai jamais compris. Aujourd’hui, on vend du mètre carré. On découpe un immeuble, on optimise chaque espace. »
Au sous-sol, une cabine de 20 m² a ainsi été transformée en bain privatif. Résultat : 100 000 € de revenus annuels. « C’est une ligne de budget à part entière. Le restaurant du midi n’est pas la même affaire que le restaurant du soir. Chaque espace doit vivre. »
Les chambres, elles aussi, sont repensées. Avec en moyenne 30 day use par jour, l’hôtel génère 450 000 € de chiffre d’affaires additionnel et trois emplois supplémentaires.
« Une chambre doit être occupée la nuit… mais aussi le jour. (...) Au final, l’immeuble vit. Quand tu entres et que tu vois du passage, des couples, des gens qui travaillent, tu te dis : il se passe quelque chose ici. »

Si Montparnasse n’a pas la réputation d’un quartier village, la Drawing House a pourtant su créer des passerelles. « Le pain de notre restaurant vient d’une boulangerie voisine. Les chocolats clients aussi. Et en octobre, pour Halloween, on va offrir 250 citrouilles aux enfants du 14e. »
Mais Florian garde les pieds sur terre. « Je défantasme beaucoup l’ancrage local. À Paris, un habitant a mille options pour consommer. La fidélité n’est pas naturelle. Ce qui marche, c’est quand tu crées une offre de qualité. »
L’exemple le plus parlant reste le brunch du week-end : 200 à 250 couverts à chaque service. « On commence à voir revenir des habitants du quartier. Mais ce n’est pas parce qu’on est ‘l’hôtel du coin’, c’est parce qu’ils trouvent chez nous une offre qui leur plaît. »


Normand et « pur produit hôtelier », Florian a fait ses armes sur le terrain.
« J’ai commencé tout en bas de l’échelle. Cinq ans chez Marriott : la meilleure expérience de ma vie. Dans ces grandes maisons, tu apprends le métier pur et dur. »
À vingt ans à peine, il connaît déjà les PMS, les channels, les premiers sites internet hôteliers.
« Je faisais moi-même les mappings sur les extranets. Ce n’était pas pour m’apprendre, mais parce qu’on me donnait ma chance. »
Après Marriott, il bascule dans l’hôtellerie indépendante : Dames du Panthéon, Monte-Cristo… à chaque fois des ouvertures, des défis et un apprentissage accéléré.
« J’ai eu la chance de tomber sur des patrons qui me disaient : va à droite, va à gauche. Je travaillais, je prouvais, et ils me faisaient évoluer. »

Florian se décrit en un mot : à l’écoute. Mais il ajoute aussitôt une nuance.
« Ici, je recrute des gens meilleurs que moi, je les secoue, et ensuite je les laisse voler. »
Il reconnaît avoir changé de méthode.:
« Avant, je faisais 70 % du boulot à la place de mes équipes. Ça ne marche pas. Aujourd’hui, je préfère recruter des gens plus forts que moi. Je micro-manage trois à six mois, puis je les laisse avancer avec autonomie . »
Deux exemples parlent d’eux-mêmes :
1/ Camille, arrivée début 2023 avec trois salles de réunion, pilote aujourd’hui dix espaces, a généré près d’un million d’euros de chiffre d’affaires et encadre une équipe de quatre personnes. « Elle est passée de zéro à un en un an. Elle a appris à recruter, à se tromper, à virer, à recommencer. Elle s'est défoncée, elle a bossé, elle a tenu son truc. Aujourd’hui, elle est 100% autonome »
2/ Coralie, revenue manager avait posé trois conditions à son recrutement : construire ensemble un budget, se déplacer deux jours par semaine à Paris, et voir ses billets de train pris en charge. Pari atypique, mais gagnant : « Après huit mois, je n’ai même pas besoin de lui demander quoi que ce soit. Ça tourne tout seul. Et tous mes N-1 me disent : "elle est extra!" »
La morale est simple : « si tu recrutes fort, que tu poses un cadre clair et que tu fais confiance, ça marche. »

Alors que Florian était en poste au Coq Hotel dans le 13eme, la pandémie aurait pu freiner son parcours. Elle a au contraire révélé son tempérament. « Trois jours après la fermeture, un hôpital voisin nous appelle : est-ce qu’on peut héberger des soignants ? On a dit go. »
Pendant deux mois et demi, la machine tourne avec une équipe réduite, hébergeant et nourrissant le personnel médical. Une preuve de résilience, mais surtout d’agilité.
Puis viennent les idées plus inattendues : La piscine privatisée, le bar à rhum transformé en salon de dégustation “anti-Covid”, ou encore… un partenariat avec Volkswagen pour lancer le premier “van hôtelier”.
« Pendant que d’autres attendaient, nous on s’est amusés à réinventer. »
En parallèle, Florian mène son propre projet : la Maison Urbaine, un petit hôtel de 19 chambres dans le 19e arrondissement, acquis en club deal avec son épouse et quelques associés.
« On ne pouvait pas se payer un grand hôtel parisien, alors on a acheté un petit. On l’a rénové, et on a fixé une règle : il devait être autonome au bout de deux ans. » Aujourd’hui, l’établissement fonctionne avec six collaborateurs et une organisation pensée pour l’autonomie.
« Ce qui compte, ce ne sont pas les titres ou la propriété. Ce qui compte, ce sont les humains qui se lèvent le matin pour faire tourner l’hôtel. »

Après plusieurs ouvertures, une crise sanitaire, et désormais la direction d’un groupe en pleine expansion, Florian résume son expérience en trois conseils destinés aux hôteliers qui rêvent de se lancer :
« Ta vie est trop courte pour perdre ton sommeil à cause d’un hôtel. Au pire, il se casse la figure et tu perds de l’argent. Ce qui compte, ce sont les humains. Si eux vont bien, la machine va bien. »
Florian ne rêve pas d’un empire hôtelier bâti à la hâte. Son objectif est clair : 8 à 10 hôtels à horizon 2027. « Pas 50 hôtels en 5 ans, ça n’aurait aucun sens. »
Son credo : consolider avant d’agrandir. « Mon travail, ce n’est pas de dire c’est super, on est très forts. C’est de regarder où est le point de rupture, et quel risque on prend si ça ne marche pas. »
Il décline cette prudence en trois priorités :
Là encore, le franc-parler domine :« Beaucoup vendent des rêves avec des chiffres irréalistes. Moi, je préfère dire la vérité et construire dans la durée. »

La Drawing House n’est pas un concept figé. C’est un hôtel qui bouge, qui s’adapte, qui vit. L’art n’est pas un habillage, c’est le moteur. Et chaque mètre carré, chaque idée, chaque brique ajoutée crée de la valeur.
Florian, lui, ne vend pas du rêve. Il construit, bloc par bloc, avec ses équipes. Pas de poudre aux yeux, pas de promesses irréalistes. Juste une conviction : si tu fais confiance, si tu fixes un cadre clair, ça marche.
D’où viens-tu, Florian ?
« Je suis normand. Pur produit hôtelier : école hôtelière, et j’ai commencé tout en bas de l’échelle. »
Quel âge as-tu ?
« 37 ans. »
3 mots pour définir la Drawing House ?
« Moderne. Flexible. Artistique. »
Combien de chambres ?
« 143 chambres, 2 appartements hôteliers, 10 salles de séminaire, un restaurant d’une centaine de couverts, 3 salles de blind test… et peut-être encore d’autres choses. »
Combien de collaborateurs ?
« Officiellement 49… mais jusqu’à 80 en full capacity. »
Ton plus grand défi aujourd’hui, en un mot ?
« Développer. D’abord mes collaborateurs, puis mes clients, et ensuite l’exploitation. »
La première chose que tu fais le matin ?
« Je prends ma femme dans les bras, je vais voir si mon fils va bien… puis je prends ma douche. »
Un lieu qui t’inspire ?
« La place du Panthéon. »
Un livre ou un film à recommander ?
« Agir et penser comme un chat. Pas très intellectuel, mais drôle. Et je suis fan de chats. »
Un mot pour décrire ton style de management ?
« À l’écoute. »
Un artiste ou une œuvre qui t’a marqué récemment ?
« Jacques Merle, qui crée une œuvre monumentale dans notre Drawing Hall. Je descends chaque jour, et chaque jour l’œuvre a changé. »
Ton sport préféré ?
« Pas sportif du tout. Mais je marche au moins une heure par jour, 15 000 pas. »
La compétence n°1 pour ton métier aujourd’hui ?
« Comprendre comment faire pour que l’autre se lève le matin et soit content de venir travailler. »
Crédit photos : Drawing Hotels Collection et archives personnelles
Date Interview: 25-Août-2025
Hotel Website: https://www.drawinghouse.com/
Group Website: https://www.drawingsociety.org/
Maison Urbaine: https://www.maisonurbaine.com/
LinkedIn Florian : https://www.linkedin.com/in/florian-bitker/